Comment expliquer que l’exclusion puisse toucher tout le monde, mais qu’elle ne touche pas n’importe qui ?
J’ai décidé, pour cet article, de prendre en exemple ma situation, ou plutôt de prendre ma sortie de route pour éclairer l’histoire de tout un chacun qui peut tourner mal ou pas…. un jour ou l’autre….
Les personnes que le Diaconat accompagne ont toutes eu des accidents de parcours plus ou moins importants, plus ou moins traumatiques, plus ou moins handicapants socialement et psychologiquement. Suivant le degré de l’incident ou de la sortie du chemin tracé, suivant la force de chacun à faire face, suivant l’entourage présent ou pas, certains seront fragilisés, d’autres à peine atteints, tandis que certains seront détruits pour toujours.
L’exclusion est un ensemble de facteurs extérieurs, environnementaux, sociaux qui interagissent avec l’individu et ses propres facteurs individuels, ses propres capacités. Mais le fait est que, plus nos facteurs sociaux sont forts, plus l’individu peut faire face.
L’insertion ou l’intégration passe aujourd’hui par le fait d’avoir un emploi, un logement, une santé mentale ou physique et un lien social fort. Le lien social est apporté par la famille, les amis, mais aussi les collègues que l’on fréquente quotidiennement dans son emploi. Nous voyons chaque jour à Trégey comment l’absence d’emploi, par exemple, dévalorise l’individu qui finit par ne plus croire en lui et devient incapable, ce qui vient confirmer la pauvre image qu’il a de lui et on entre dans le cercle vicieux de l’exclusion et de la désocialisation.
En ce qui me concerne, la crise de la quarantaine n’est pas loin, c’est peut être la raison pour laquelle je vous écris en ce moment ! Blague à part, j’ai eu une enfance heureuse, des parents et amis aimants, peu ou pas d’évènements traumatiques qui seraient venus me fragiliser par le passé… A part peut être la mort de Mobidic, mon poisson exotique, il y a bien longtemps. J’ai la chance, comme beaucoup, d’avoir un emploi, un logement, des proches et une bonne santé. Ce n’est malheureusement pas le cas de tout le monde. Mais rien ne nous assure que tout restera ainsi… Il y a les événements de la vie, les accidents de parcours…
Revenons à ma sortie de route ; par chance je m’en sors avec seulement quelques fractures et trois jours à l’hôpital. Qu’en aurait-il été si l’impact qui m’a cassé les côtes avait cassé mon visage ou, pire, mon cerveau ? Mon moral – qui est très bon actuellement – en aurait pris un coup. Aurais-je fait face ? Ma femme, qui fait office d’infirmière, serait-elle restée avec un handicapé qui à la tronche d’Eléphant Man ? Peut-être pas. Qu’en aurait-il été de mon moral, de ma capacité à surmonter, de mon envie ou capacité à reprendre le travail ? Si, comme beaucoup actuellement, j’avais un contrat de travail précaire, aurais-je gardé mon emploi ? Aurais-je été soutenu, rassuré par mon employeur ?
J’ai beaucoup pensé aux personnes que nous accompagnons ; souvent seules et isolées elles n’ont pas le soutien que j’ai pu avoir. Et cette réalité arrive très vite… A la question des pompiers « Qui devons-nous prévenir ? » la réponse sera « personne » ou pire « le 115 ». Franchement, il n’y a pas plus glauque et pour autant, ça arrive tous les jours. Mon handicap nécessite de l’aide, mes démarches de santé actuelles obligent que l’on m’accompagne. Qu’en est-il des personnes seules pour qui tout devient impossible et vient fragiliser encore un état psychologique déjà précaire ?
J’étais en chambre avec Jean-Pierre, âgé de 78 ans, et qui est tombé chez lui sans trop comprendre ce qui lui arrivé. Alors qu’il me tardait de sortir pour rentrer chez moi, Jean-Pierre espérait pouvoir rester le plus longtemps possible. Sa femme est morte il y a un an, il se sent seul et a peur de ne plus pouvoir vivre chez lui comme avant.
Sans parler des publics que nous accompagnons à Trégey et qui n’ont que le 115 à appeler à leur sortie d’hôpital et qui espèrent, en plus, ne pas dormir à la rue…
Ils ont souvent tout perdu, doivent tout reconstruire ; certains sont devenus incapables, d’autres sont en train de le devenir, car notre système actuel ne leur permet pas d’accéder au besoin, vital plus que social, d’avoir un chez soi.
Je tiens à remercier tous mes collègues du Diaconat et de Trégey qui ont su me soutenir dans cet accident de parcours qui restera par chance anecdotique et me permet d’en sortir encore plus fort !!
Je dédie cet article à tous ceux qui traversent une période difficile et en particulier à mon ancien chef à qui je pense chaque jour.
Vincent Dupuy
Chef de Service – Centre d’Accueil d’Urgence Trégey